Au sujet de la thèse du Père Murray

« L’examen des circonstances dans lesquelles l’archevêque Lefebvre a procédé à des consécrations épiscopales à la lumière des canons 1321, 1323 et 1324 élève pour le moins un doute significatif sinon une certitude raisonnable contre la validité de la déclaration d’excommunication prononcée par la Congrégation des Evêques. »

Telle est la conclusion de la thèse de droit canonique du Père Murray (1995) soutenue à Rome avec félicitations du jury.

 

Thèse en droit canonique du Père Murray – 1995.

Le Père Gerald E. Murray n’est pas un prêtre de la Tradition. Il exerce son ministère dans l’archidiocèse de New-York. Il a cependant soutenu brillamment en juin 1995 sa thèse à l’université grégorienne de Rome sur le sujet controversé :

« Le statut canonique des fidèles de l’ancien archevêque Marcel Lefebvre et de la Fraternité St-Pie X : sont-ils excommuniés comme schismatiques ? » Malgré ce thème épineux, il a obtenu sa licence et livré au passage une étude très significative, dont le magazine américain The Latin mass a fait une analyse détaillée ; en voici quelques aperçus.

Selon le décret de la congrégation pour les évêques (cardinal Gantin, 1.8.1988), « les prêtres et les fidèles sont avertis de ne pas donner leur assentiment à l’acte schismatique de Mgr Lefebvre afin de ne pas encourir la même peine (l’excommunication latae sententiae) ». Dans le Motu Proprio Ecclesia Dei adflicta, Jean-Paul II disait : « Nul ne doit ignorer que l’adhésion formelle au schisme constitue une grave offense à Dieu et comporte l’excommunication prévue par le droit de l’Eglise. » Mais, remarque Murray, il n’est donné aucune indication précise, ni même générale, sur les actes considérés comme constituant une adhésion ou un assentiment. « … Ce manque de précision de la part du Saint-Siège conduit à un doute raisonnable sur la question de savoir si les fidèles qui sont associés à la Fraternité St-Pie X commettent un acte schismatique, en fréquentant par exemple une de ses chapelles ou en coopérant à ses activités. » Les prêtres et fidèles attachés à la Fraternité au moment du schisme « ne sont ni excommuniés ni schismatiques, d’aussi loin que je puisse voir parce que le Vatican n’a jamais dit qu’ils l’étaient. »

De sérieux doutes

Mais Murray va plus loin : ces prêtres et ces fidèles ne peuvent pas être excommuniés si Mgr Lefebvre lui-même ne l’est pas. Or, il existe de sérieux doutes sur le fait que celui-ci soit passible de l’excommunication latae sententiae.

Il y a deux sortes d’excommunications :

 

  • celle dite ferendae sententiae, elle est prononcée formellement par l’autorité compétente contre le coupable ;

     
  • et celle dite latae sententiae ; elle l’affecte « automatiquement », par le fait même du délit commis.

Le décret du cardinal Gantin ne prononce pas la première, il « déclare » que Mgr Lefebvre, les quatre évêques consacrés et Mgr de Castro Mayer ont encouru la deuxième. Dans le premier cas, il n’y aurait plus rien à dire; dans le second cas, l’affaire peut être examinée à la lumière du droit canon.

Or, le droit canon indique les conditions dans lesquelles la peine s’applique automatiquement, et les exceptions qui l’annulent. L’argument de la « nécessité » est passé au crible par les juristes : « N’est punissable d’aucune peine la personne qui a agi forcée par une crainte grave, même si elle ne l’était que relativement, ou bien poussée par la nécessité ou pour éviter un grave inconvénient, à moins cependant que l’acte ne soit intrinsèquement mauvais ou qu’il ne porte préjudice aux âmes. » (Can. 1323 §4).

Le canon 1324 §8 apporte un autre élément d’appréciation subjectif : il suffit que la personne ayant commis un délit ait « cru » (putavit) se trouver dans les circonstances ci-dessus, c’est-à-dire qu’elle ait pensé être poussée par la nécessité.

Murray fait le procès du Code lui-même. Par rapport à celui de 1917, il introduit cet élément de jugement subjectif du coupable, qui est nouveau. Précédemment, à chaque délit défini objectivement correspondait une peine, « on savait à quoi s’en tenir ».

Les mauvais conseillers du pape

Mais, demande-t-il, le pape n’est-il pas, en tant que législateur, au-dessus du droit canonique ? Ne peut-il pas le changer ? Si, mais il ne l’a pas fait. Tant qu’il n’a pas changé le droit, il est lié par lui. Jean-Paul II ignorait-il cela ? « Je dois répondre que le pape n’est pas lui-même canoniste ; et l’avis qui lui a été donné est celui qui a été publié dans l’Osservatore Romano, dans un communiqué disant que l’état de nécessité prévu dans le canon 1323 était inapplicable. Je pense que ses conseillers lui ont dit que Lefebvre n’avait pas le droit de faire appel aux canons 1323 et 1324. (…) Je pense que ses conseillers avaient tort car le cas Lefebvre est précisément un exemple montrant que, tandis que le vieux code était tout à fait clair, le nouveau est beaucoup moins rigoureux (…) »

« Cependant, poursuit Murray, le Pape pouvait dire : “Oubliez ces canons. J’arrête que ces gens sont excommuniés par ma propre autorité, à moins qu’ils ne se soumettent dès demain à mon jugement. Mais le Pape n’a pas procédé de cette façon. Il a agi selon l’avis de ses conseillers et selon le droit canon en vigueur. (…) Et si les peines canoniques sont douteuses en ce qui concerne Lefebvre lui-même, alors elles sont au moins aussi douteuses en ce qui concerne les laïcs attachés à la Fraternité. »

Quant à la question du schisme, Murray fait appel aux commentateurs les plus autorisés pour montrer que l’acte de Mgr Lefebvre ne correspond pas aux définitions admises du schisme : « On distinguera avec soin le schisme de la désobéissance pure et simple. Un schisme suppose un refus de dépendance systématique et habituel » (P. Mattheus Conte a Coronata). « Le schisme serait caractérisé si le refus d’obéir s’attaquait à l’autorité en elle-même (…) lorsque quelqu’un rejette un précepte ou un jugement du pape prononcé dans l’exercice de sa fonction, ne le reconnaissant pas comme supérieur (…) » (P. Congar). « Il ne faut pas confondre schisme et désobéissance. Celle-ci est une simple transgression, du droit pontifical par exemple; celui-là est un rejet délibéré et volontaire de la communion, donc une rébellion » (Alphonse Borras) – ce qui n’est manifestement pas le cas pour la Fraternité St-Pie X.